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Jacques Benveniste, un biologiste hors normes
LE MONDE | 05.10.04

Jacques Benveniste, directeur de recherche émérite à l'Inserm, médaille d'argent du CNRS, est mort, dimanche 3 octobre à Paris, au cours d'une intervention chirurgicale à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Il était âgé de 69 ans. Avec cette disparition, la biologie perd l'un de ses membres les plus brillants, les plus atypiques, les plus passionnés par la recherche, fût-ce au mépris de sa carrière et en oblitérant la qualité de ses travaux antérieurs.

Né le 12 mars 1935 à Paris, Jacques Benveniste, rejoint l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en 1973, après des études de médecine suivies d'un remarquable parcours dans la recherche en immunologie. On lui doit notamment la découverte, en 1971, de la molécule dénommée Platelet activating factor (ou PAF-acether), qui joue un rôle fondamental dans les mécanismes de l'inflammation et de l'allergie. Cette découverte majeure, qui aurait sans doute pu être un jour consacrée par un prix Nobel de médecine et de physiologie, lui vaudra rapidement une renommée mondiale et la pleine reconnaissance de ses pairs. "Ces travaux ont ouvert de nouvelles perspectives thérapeutiques dans le domaine de l'allergie et de l'inflammation, précise aujourd'hui l'Inserm dans le communiqué publié au lendemain de sa mort. L'exploration des fonctions de cette molécule a dépassé la découverte initiale et conduit à la mise au point de nouvelles stratégies anti-inflammatoires."

En 1984, le docteur Benveniste est nommé directeur de recherche de l'unité U200 de l'Inserm. Fort de plus de 300 publications scientifiques dans les revues les plus prestigieuses, il est à l'apogée de sa carrière quand il s'oriente vers un nouveau secteur de recherche qui, après nombre de polémiques, le contraindra à abandonner ses fonctions officielles et à devenir une sorte de paria de la communauté scientifique. Il est en effet alors intimement persuadé d'avoir mis au point une méthodologie expérimentale fournissant la démonstration que l'eau peut conserver la "mémoire" de la présence de molécules alors même qu'une série de dilutions font qu'il ne peut plus exister aucune des molécules d'origine. En pratique, le chercheur expliquait qu'il pouvait faire réagir des cellules sanguines à partir d'une solution aqueuse qui avait été mise au contact d'un anticorps mais ne contenant plus cet anticorps.

LA "MÉMOIRE DE L'EAU"

Fort de ces résultats spectaculaires, il en déduit que l'information biologique peut être transmise d'une manière non chimique. On parlera bientôt de la "mémoire de l'eau".

Une violente polémique s'engage après la parution, le 30 juin 1988, dans Le Monde d'un article consacré à la publication le même jour d'un article scientifique de Jacques Benveniste dans les colonnes de la célèbre revue scientifique Nature. Ces résultats sont alors présentés comme "une découverte française qui pourrait bouleverser les fondements de la physique". C'est alors qu'en contradiction avec toutes les règles de la publication scientifique, John Maddox, le rédacteur en chef de la prestigieuse revue britannique, décide de mener une "enquête" dans le laboratoire de Jacques Benveniste après avoir accepté de publier ses résultats.

Son but est clair : parvenir coûte que coûte à révéler une supercherie dans les expériences du biologiste français. Il va jusqu'à faire appel aux services d'un illusionniste américain, James Randi, qui avait auparavant démasqué le magicien Uri Geller. Même si le piège échoue, l'objectif est atteint : le chercheur, ses résultats et l'ensemble de son approche sont discrédités. Refusant, non sans courage ni panache, d'abandonner ses recherches, Benveniste affichera une arrogance et une morgue souveraines envers l'institution scientifique, qui ne cherchera alors ni à le comprendre ni, encore moins, à le pardonner.

Ses travaux, en partie financés par l'industrie homéopathique qui voit en lui une chance inespérée d'établir les bases scientifiques de ses allégations thérapeutiques, le conduiront à élaborer une "biologie numérique." A la fin des années 1990, il dépose une série de brevets. L'un d'entre eux sera homologué par l'office américain des brevets le 1er avril 2003. Il concerne la "biologie hertzienne numérisée." Le chercheur prétend enregistrer l'activité biologique sous la forme d'un fichier audionumérique (format. wav). C'est cette propriété qui a récemment fait l'objet d'une cession de licence à une société nord-américaine.

"Un médicament anticoagulant a été numérisé à Sans Diego par nos procédés. Le fichier/signal, reçu à Clamart - Hauts-de-Seine - par courriel, a été diffusé à de l'eau, laquelle a inhibé la coagulation comme l'aurait fait la molécule d'origine", expliquait le chercheur dans un courrier aux Echos publié le 27 août 2003.

Génie méconnu ? Biologiste incompris parce qu'en avance sur son temps ? Martyr de l'institution dont il fut l'un des membres parmi les plus éminents ? Chercheur aveuglé par une soif inextinguible de grandeur ? Philippe Lazar, polytechnicien, directeur général de l'Inserm de 1982 à 1996 et qui dit être "un ami de longue date" du chercheur, voit, avant tout, en Jacques Benveniste un savant de premier plan qui est resté honnête mais qui a été victime d'une ténébreuse affaire. Il estime aussi que l'homme "a fait preuve d'une insuffisance manifeste d'esprit critique dans l'interprétation de ses résultats." "Le phénomène qu'il avait constaté, juge-t-il, pouvait résulter d'une autre cause que d'une dilution des substances étudiées, par exemple d'une contamination répétitive de tube à tube". L'eau a-t-elle une "mémoire"? Avec la mort de celui qui en était resté convaincu, la question reste entière.

Michel Alberganti et Jean-Yves Nau

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 06.10.04

  

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